3 août 2013 – 23 h 49. Saint Augustin écrivit dans son ouvrage « La mémoire et le temps », dont je m’étonne à chaque fois que j’en continue une lecture non encore achevée, de sa presque troublante modernité : « Connaître les notions qui ne se communiquent point à nos sens par image, mais dont nous percevons en nous la réalité même, par intuition directe, n’est après tout que rassembler dans l’esprit ce que la mémoire contient ça et là, en recommandant à la pensée de réunir ces fragments épars et négligés pour les placer sous la main de l’attention. » Une phrase parmi des milliers d’autres mais qui, dénichée au fil des pages de cet ouvrage surprenant, constitue un petite merveille compacte de matière pure, à rêver, vagabonder, délirer, libérer l’esprit, haut, loin au delà de du simplisme du monde que notre époque se plaît à nous proposer chaque jour, sous couvert d’une complexité que nous ne pourrions plus comprendre, compréhension éclatée en une multitude de fragments épars que seuls les spécialistes fragmentaires, pourraient appréhender, sans en connaître la globalité. Faut-il dès lors, devenir un Salvatore, moine à peu près fou de l’ouvrage d’Umberto Eco « Le nom de la Rose » qui parle une langue mélange chaotique de toutes les langues et semble avoir grillé ses neurones et voulant embrasser toutes les connaissances ? Saint Augustin nous délivre de cette tentation salvatorienne mais non salvatrice, en nous livrant l’autre voie, transpercer l’épaisse gangue de la réalité appauvrie que nous offrent nos sens limités et nos outils, pour performants qu’ils soient, pour atteindre et rassembler peu à peu ce que notre mémoire contient et « recommander » à notre pensée de le faire surgir à l’attention. Rêverie, vagabondage, intuition directe, non filtrée ni déformée.
Pourquoi s’échiner à rester dans la réalité apparente alors que nous savons bien que nous sommes enfermés à ce point à l’intérieur, que nous ne pouvons la comprendre ni la dépasser en seulement l’observant.
La planète fut plate, puis ronde, centrale puis un infime morceau de matière filant à une vitesse folle à travers un espace infini, peuplé autour de nous, de super-galaxies, conglomérats d’étoiles, trous noirs et autres furieux objets gigantesques et d’une quantité de planètes à peu près équivalente au nombre de grains de sable présents sur terre. Et après, plus loin, si tant est qu’il y eût un plus loin au sens où nos sens l’entendent, qu’y a-t-il ?
Par quelle humaine puissante magie, avec l’aide de quelle puissante drogue, mon cerveau me donne-t-il l’impression apaisante d’une réalité où je suis dans un univers stable, sur une planète stable, assis tranquillement dans mon jardin silencieux à une table presque stable également, lorsque la « réalité » un peu élargie est légèrement toute autre ?
Alors quand un spécialiste ou un sachant quelconque vient m’enfermer dans un quelconque dogme, qu’il soit scientifique, médical, et le pire du pire, économique ou politique, je m’esclaffe de rire intérieur, en pensant à tout ce qui doit se trouver en jachère à l’intérieur de son cerveau muselé et heureux de l’être. Libère toi pauvre fou, ai-je envie de lui crier, essaie d’inventer autre chose, au lieu de rabâcher de pauvres conjectures que tu as pu tirer de la compréhension déformée des quelques enseignements ou lectures trop primaires de ceux qui ont vraiment tenté d’apporter un peu de vraie lumière.